Dans la tête d'un synesthète
- Lucie Grandgirard
- 31 mars 2020
- 2 min de lecture

Voir les sons, voir les parfums, goûter les textures, percevoir les émotions en couleurs, associer une couleur à un chiffre, voir ses pensées abstraites, voir le temps, associer des goûts aux lettres, c’est possible ! Cela s’explique par la synesthésie, la fusion des sens.
Le préfixe “syn” signifie “ensemble” et le terme d’origine grecque “aisthesis” désigne la sensibilité, l’aptitude à avoir des sensations. La synesthésie est un phénomène neurologique non pathologique. Le premier cas fut décrit en 1710 par l’ophtalmologue Thomas Woolhouse. Son patient, pourtant aveugle, percevait des couleurs en réponse à des sons. Si cette forme de synesthésie, dite "graphème-couleur", serait la plus fréquente - elle toucherait 65% des synesthètes - de nombreuses associations sensorielles ont depuis été recensées. Les deux formes les plus répandues sont "l'audition colorée" dans laquelle les sons évoquent des couleurs et la synesthésie dite "nombre-espace" où les nombres sont associés avec des localisations précises dans l'espace.
Ce phénomène aurait une origine génétique et pourrait s'expliquer par une hyper-connectivité des neurones. Des zones du cerveau non liées habituellement se retrouveraient ainsi connectées. Le cerveau des synesthètes mélangerait donc en permanence deux ou plusieurs sens : à la perception normale d’une stimulation sensorielle s’ajoute une autre perception. Cette capacité est involontaire, automatique et dite “mémorable”. En effet, certains considèrent la synesthésie comme un don car elle est associée à une excellente mémoire, allant même jusqu'à l'hypermnésie.
“ Je visualise les chiffres, heures, jours, mois et années dans une sorte de parcours, qui se situe je ne sais pas trop où dans l’espace... C’est une sorte de repère dans l’espace-temps qui m’est indispensable. ” - Valentin Curmi, synesthète.
Les synesthètes représentent 4% de la population mondiale mais les estimations sont extrêmement larges. Elles varient selon la méthodologie utilisée pour le repérage et le recensement de telles personnes. La plupart ignorent leurs capacités synesthésiques du fait que ce phénomène n’a pas de retentissement pathologique et qu’il est difficile à verbaliser. De nombreuses personnes pourraient donc être atteintes sans même s'en rendre compte. Daniel Tammet, écrivain et poète atteint du syndrome d’Asperger, est synesthète. C’est un savant aux capacités hors du commun qui voit les nombres comme des formes et des couleurs. Sa synesthésie lui a permis de mémoriser les 22514 premières décimales du nombre Pi, de parler sept langues et d’apprendre l'islandais en quatre jours. Il a notamment écrit un livre intitulé "Je suis né un jour bleu" disponible aux Editions Livre en Poche, qui revient sur cette synesthésie.
On peut alors penser que les génies de notre Histoire seraient en fait des synesthètes qui ont regardé le monde différemment. Et s’il ne suffisait que d’une connexion à faire dans le cerveau pour être un prodige et faire de nouvelles découvertes ?

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